Cyane, Déesse-fille de la mer d’Aral, était curieuse de découvrir les formes de vie de la Péninsule toute proche. Prenant forme humaine, elle partit explorer nos territoires.
Tous les jours, elle s’émerveilla des couleurs de nos Hommes, de leurs différences, de leurs savoir-faire, de leur inventivité.
Toutes les nuits, elle rejoignait le Royaume des Songes et présentait à la Grande Déesse les trésors de nos actes, lois, faunes et flores.
Un matin, elle croisa la route de deux amis inséparables, Lef et Lazar (l’humble auteur de cette mémoire). Elle fut captivée par la force de l’un et la connexion à la magie de l’autre. Elle tomba même éperdument amoureuse… des deux à la fois. Et cela n’était pas normal ou naturel pour eux. Aussi, par jalousie, par étroitesse de cœur ou d’esprit, ils lui demandèrent de choisir.
Incapable de le faire et désespérée de voir que son amour pour eux risquait de les séparer à jamais, Cyane prit la fuite. Elle descendit vers le sud, en quête d’une solution. Cependant, nul ne put lui expliquer comment guérir de cet amour. Pire encore, nulle autre âme ne sut toucher la sienne comme ils l’avaient fait.
Lef et Lazar, dévastés par son départ, s’étaient mis en chasse. Ils la retrouvèrent, à la limite des terres-sans-mer, au pied d’un arbre, en train de se reposer. Sa peau était parée d’un bleu sombre aussi profond que les confins de la Mer d’Aral. Ses cheveux étaient semblables à des fils d’argent iridescent. Ses iris étaient d’un gris acier froid. Malgré son immense fatigue, elle était plus déesse qu’elle ne l’avait jamais laissé paraître.
Fous de désir et de joie de se retrouver enfin, ils firent l’amour à même le sol et s’endormirent enlacés, sans soucis du qu’en-dira-t-on. Ce fut le moment le plus fort et le plus magique de toutes leurs existences.
Pourtant, les flammes de l’aube rallumèrent la possessivité et la jalousie des deux hommes. Et tandis qu’ils se disputaient pour un peu d’intimité avec elle, elle mobilisa tout ce qu’elle avait de divin en elle, laissa s’enfuir sa vie sous la forme de larmes intarissables, laissa fondre son corps dans la terre et l’arbre qui la soutenaient et poussa un long dernier soupir, qui descendit des collines, jusqu’à la mer, traçant un sillon sans vie dans son passage. Cyane mourut, sans qu’ils ne puissent rien faire pour la retenir.
Effondrés, ils prièrent la Grande Déesse pour qu’elle ramène Cyane à la vie. Elle leur apparut sous la forme d’un grif immense à l’humeur vengeresse. Posant une patte sur la sépulture naturelle de sa fille, la Déesse fit trembler la terre et monter les eaux, au point de fendre la péninsule en deux. Elle fit ensuite souffler un vent si violent que les berges se séparèrent, créant un large delta où s’engouffrèrent des eaux grises et tumultueuses. Enfin, elle regarda les deux hommes et les maudit. Plus jamais ils ne pourraient s’adresser la parole. Plus jamais ils ne pourraient partager le même lieu. Plus jamais ils ne pourraient être amoureux ou être aimés, car leurs corps et leurs âmes resteraient liés à sa fille. À moins de trouver le chemin vers Cyane, de rejoindre son cœur et de la chérir ensemble, jusqu’à la voir renaître.
Si, aujourd’hui, j’écris ces lignes, c’est parce que nous avons enfin trouvé comment faire. Lef et moi allons rejoindre notre amour perdu, ce soir, au lever de la Troisième Lune. Le rituel est prêt et rien ne saurait nous arrêter. Il ne me restait qu’à écrire notre histoire, pour que tous vous puissiez garder sa morale en mémoire :
Il y a des guerres qui méritent d’être menées.
Et des amours si grands qu’il est dévastateur de les combattre.
Votre dévoué,
Lazar de Cartalys
Völvarys et amant dévoué de Lef d’Andahar et de Cyane la Divine